Coup d’État
Arrivé dans la capitale, le général s’entretient avec Talleyrand, homme politique d’expérience et fin connaisseur des forces en jeu. Le schéma du coup d'État du 18 brumaire (9 novembre 1799) prévoit les opérations suivantes : Bonaparte aura le commandement en chef de l’armée pour le maintien de l’ordre dans Paris et dans les assemblées. On envisage de déplacer les assemblées au château de Saint-Cloud sous le prétexte d’un péril jacobin. En effet, depuis 1789, les assemblées se trouvent toujours sous la menace de la population parisienne.
L'essentiel des événements se déroule le 19 brumaire à Saint-Cloud. Les révisionnistes avaient envisagé une démission collective des cinq directeurs, mais les assemblées ont du retard car cette idée ne fait pas l’unanimité ; Bonaparte s’impatiente et décide d’intervenir. Il tient un discours maladroit devant le Conseil des Cinq-Cents, discours hué par les députés qui l’accusent de vouloir instaurer la dictature. Bonaparte est alors contraint de quitter l’assemblée. Mais il prend rapidement la situation en main avec l’aide de son frère Lucien qui préside les Cinq-Cents. Lucien évite que Napoléon soit mis en cause par les députés qui veulent voter pour mettre hors-la-loi Bonaparte.
Lucien retarde le vote et va chercher Murat, qui vient avec la troupe et met de l’ordre dans les assemblées, disant que certains députés voulaient poignarder Bonaparte pour justifier une intervention de l’armée. Les représentations des députés sortant par les fenêtres et voulant poignarder Napoléon sont très répandues. Bonaparte est de fait l’homme fort de la situation, qui fait basculer un coup d’État parlementaire en un coup d’État militaire. Mais Bonaparte reste attaché aux formes juridiques et, dans la soirée du 19 Brumaire, les députés restent à Saint-Cloud pour voter la décision de nommer deux commissions pour préparer une nouvelle constitution. On constate alors une volonté d’appuyer le régime sur le vote des représentants du peuple.
Le 20 brumaire, les trois consuls sont désignés : Bonaparte, Sieyès et Ducos. C’est le début du Consulat.
Le 20 brumaire, les trois consuls sont désignés : Bonaparte, Sieyès et Ducos. C’est le début du Consulat.
« La Révolution est fixée aux principes qui l'ont commencée : elle est finie. » — Bonaparte, 20 brumaire an VIII
Roger Ducos est tout acquis à Bonaparte, alors que Sieyès lui n’entend pas se résigner à abandonner le pouvoir à Bonaparte seul. Il entend bien jouer un rôle dans le gouvernement du Consulat. Pour contrecarrer son encombrant collègue, Bonaparte, multipliant les provocations, maintient aux portefeuilles ministériels les ennemis de Sieyès en offrant les Relations extérieures à Talleyrand et celui de la Police à Fouché.
Le travail de rédaction de la Constitution est confié officiellement à deux commissions législatives formées de députés des Cinq-Cents et des Anciens. Mais c’est Sieyès qui va proposer un projet. À l’examen, le projet s’avérera trop complexe, voire irréaliste. En effet, il prévoit l’instauration d’un régime démocratique fondé sur un pouvoir législatif fort représenté par trois chambres. L’exécutif sera, quant à lui, réduit à une magistrature à vie purement honorifique et à deux consuls aux fonctions limitées. Bonaparte profite des faiblesses de ce plan pour imposer son propre projet et se débarrasser de son encombrant rival. Du 4 au 13 décembre 1799, il réunit ainsi les deux commissions dans son bureau pour élaborer le texte de la nouvelle constitution.
La Constitution de l’an VIII est adoptée en comité restreint le 13 décembre 1799. Elle s’inspire en partie du projet de Sieyès, mais intègre les idées politiques de Napoléon Bonaparte, notamment concernant le pouvoir exécutif. Sieyès, lui-même, est chargé de désigner les trois consuls de la République : Bonaparte comme Premier consul, puis Cambacérès et Lebrun, comme respectivement 2e et 3e consuls de la République. Sieyès, quant à lui, est « relégué » au poste de président du Sénat.
La Constitution
La Constitution de l’an VIII entre en vigueur le 25 décembre 1799. Bonaparte établit la Constitution sous des apparences démocratiques, mais organise un pouvoir autocratique, toutes les évolutions du régime ne feront qu’accentuer le caractère autocratique du pouvoir.
La Constitution de l’an VIII entre en vigueur le 25 décembre 1799. Bonaparte établit la Constitution sous des apparences démocratiques, mais organise un pouvoir autocratique, toutes les évolutions du régime ne feront qu’accentuer le caractère autocratique du pouvoir.
Le pouvoir législatif est divisé en trois assemblées (tricamérisme) :
le Tribunat discute les lois sans les voter ;
le Corps législatif (ou « Corps des muets ») adopte ou rejette les lois ;
le Sénat conservateur est chargé de vérifier que la loi est conforme à la constitution.
La préparation de la loi appartient à l'exécutif, par le biais du Conseil d’État, chargé de rédiger les textes législatifs. Le pouvoir fonctionne de manière autoritaire, les procédés de démocratie semi-directe (quelque peu fictive) sont soigneusement organisés et contrôlés. Le consul corrige lui-même les résultats s’ils ne sont pas satisfaisants. Le Consulat est une forme de despotisme éclairé, qui n'est pas étranger à l'expérience de Pascal Paoli en Corse, dont le jeune Bonaparte avait été un admirateur fervent.
Du Consul à l’Empereur
En 1800, Bonaparte attaque et vainc l’Archiduché d'Autriche une nouvelle fois. Battus à Marengo par Napoléon et à Hohenlinden par Moreau, les Autrichiens doivent signer le traité de Lunéville le 9 février 1801, ce qui amène les Britanniques à signer la paix d’Amiens le 25 mars 1802 (4 germinal an X, contresignée deux jours plus tard). Si son pouvoir était fragile au lendemain de Brumaire, la victoire de Marengo et ses suites consolident fortement la situation de Bonaparte.
Le 24 décembre 1800, une « machine infernale » (bombe) l’attend rue Saint-Nicaise. Le cocher du Premier consul passe au grand galop. La bombe explose trop tard et seules les vitres du véhicule sont soufflées. Sur place, en revanche, c'est le carnage. On dénombre 22 morts et une centaine de blessés. Fouché, alors ministre de la Police, réussit à prouver que l’attentat est l’œuvre des royalistes, alors que Bonaparte est persuadé avoir affaire aux Jacobins. L’exécution du duc d’Enghien en sera une conséquence.
En 1802, Bonaparte demande que les cendres du Maréchal de Turenne soient transférées aux Invalides. Il est en effet un fervent admirateur de Turenne, dont il reprendra avec succès la stratégie d’attaque par surprise (Bataille de Turckheim, 1675) dans ses campagnes de 1805 à 1812.
La même année, Bonaparte met en branle son grand dessein pour l'Amérique. Il s'agit pour lui, profitant de la paix d'Amiens qui permet la libre circulation de la flotte française dans l'Atlantique, de développer la Louisiane, cet immense territoire qui s'étend sur la rive droite du Mississipi et qui revient de droit à la France depuis la signature secrète du Traité de San Ildelonso en 1800.
Pour cela il lui faut une base d'opérations sûre. La colonie de Saint-Domingue est toute indiquée. De cette tête de pont de la France dans le Nouveau-Monde, il pourra reprendre pied en douceur à la Nouvelle-Orléans sans brusquer le jeune état américain qui verrait son expansion vers l'Ouest définitivement circonscrite au Mississipi.
Mais à Saint-Domingue, Toussaint L'Ouverture est un formidable obstacle à ce plan. Le général noir est Général en chef de la colonie au nom de la France depuis 1797 et il est suspecté de connivences avec les Etats-Unis d'Amérique avec lesquels, au mépris du principe de l'exclusif, il commerce ouvertement. D'ailleurs, l'année précédente il a fait voter par les grands planteurs, ses alliés objectifs, une constitution autonomiste qui fait de lui gouverneur général à vie et il a eu l'outrecuidance de l'envoyer en France pour simple ratification, une fois le fait accompli.
Cet acte de rebellion ouverte d'un chef de guerre réputé invincible et fermement accroché à son île tombe à pic pour justifier l'importance des forces commises à l'expédition qui se prépare. Et la raison d'état, froide et impérieuse, justifie également le rétablissement de l'esclavage dans les colonies du Nouveau Monde car il va sans dire que la Louisiane française doit se développer rapidement pour prendre de vitesse anglais et américains, ce qu'elle ne saurait se faire sans la main d'œuvre servile qui a si bien su être exploitée à Saint-Domingue.
Voila pourquoi deux flottes font voile vers les Antilles, Leclerc, propre beau-frère de Bonaparte, vers Saint-Domingue avec 20 000 hommes et Richepance vers la Guadeloupe avec 3 400 hommes.
Ces chefs sont munis d'instructions secrètes fort explicites rédigées de la main même de Bonaparte. Ils doivent prendre le contrôle militaire des deux colonies et désarmer les officiers indigènes avant de rétablir l'esclavage. Des proclamations sont prêtes, en français et en créole, qui visent à rassurer les populations indigènes de l'attachement personnel de Bonaparte à la liberté. Cette pléthore de précautions démontrent que ce dernier avait compris que le succès ou l'échec dépendrait du secret et les faits lui donnèrent raison.
Après une résistance acharnée de trois mois, le vieux Toussaint, trahi par ses officiers généraux habilement entrepris par Leclerc, déposa les armes puis fut capturé et déporté en France où il devait mourir quelques mois plus tard. Leclerc pouvait passer à la deuxième phase du plan et désarmer les officiers de couleur mais Richepance à la Guadeloupe avait rétabli l'esclavage sans attendre et la nouvelle de cette trahison de la parole du Premier Consul fit basculer Saint-Domingue dans l'insurrection.
L'armée de Leclerc affaiblie par une épidémie de fièvre jaune, recule partout. Leclerc obtiendra près de 20000 hommes de renfort mais la fièvre jaune fait tomber inexorablement un tiers des européens qui touchent ces rivages et Leclerc succombera lui-même. Les débris de son armée seront anéantis par les soldats de Jean-Jacques Dessalines qui proclamera l'indépendance de l'ancienne colonie sous le nom indien d'Haïti.
Mais le temps de l'Amérique française est déjà passé. La paix avec l'Angleterre est rompue et l'Atlantique est redevenue une mer hostile. De guerre lassse, en 1803, Bonaparte vend la Louisiane aux États-Unis.
Bien plus tard, à Sainte-Hélène, Napoléon dira "j'aurais dû laisser Toussaint-Louverture diriger Saint-Domingue", un vœu pieux pour s'exonérer de l'opprobre esclavagiste qui entâche son héritage mais en réalité, face au rêve américain de Bonaparte, Toussaint et la liberté des noirs ne faisaient pas le poids.
Après que Bonaparte ait étendu son influence sur la Suisse (qui met en place les institutions décentralisées actuelles) et sur l’Allemagne, une dispute à propos de Malte sert de prétexte aux Britanniques pour déclarer une nouvelle fois la guerre à la France en 1803, et pour soutenir l’opposition royaliste à Bonaparte. Des agents royalistes, dont Jean-Charles Pichegru, sont débarqués clandestinement en France et se mettent en rapport avec Georges Cadoudal et Jean-Victor Moreau. Le complot est rapidement éventé et ses membres arrêtés. Pichegru meurt étranglé dans sa cellule ; les autres sont jugés et condamnés. Cadoudal est exécuté, Moreau banni. Mais le complot fait aussi une victime collatérale : le duc d’Enghien, prince Bourbon. Le Premier Consul le fait enlever en territoire étranger, juger sommairement par une commission militaire et exécuter, à la suite de déclarations recueillies auprès de Cadoudal après son arrestation. L’exécution qui se déroule à Vincennes ne suscite pas d’autres protestations que celles du Royaume-Uni, de la Russie et de l’Autriche.
Napoléon se couronne Empereur le 2 décembre 1804. À proprement parler, l’Empire naît à la demande du Sénat. Steven Englund se rallie à l’opinion selon laquelle il s’agissait, initialement, de protéger la République. Le Consulat abattu, l’ordre se serait effondré avec lui. Empereur, il devenait une institution, scellant la pérennité des valeurs républicaines. Il pouvait mourir : l’hérédité du titre était censée protéger le pays des bouleversements et de la perte des acquis révolutionnaires (avec, en premier lieu, l’égalité, loin devant la liberté). C’est ainsi que les monnaies impériales portent, sans hypocrisie, la mention « Napoléon Empereur - République française ».
En outre, une observatrice avisée de la mise en place du Consulat et de l’Empire, la Comtesse de Rémusat, explique comment des « hommes fatigués des troubles révolutionnaires » aient vu en Bonaparte celui qui les « sauverait des dangers d’une anarchie tumultueuse » et leur apporterait « le repos sous la domination d’un maître habile, que d’ailleurs la fortune semblait déterminée à seconder. »