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23 août 2019

Campagne d'Égypte (1798 - 1801)

La campagne d’Égypte est l'expédition militaire en Égypte menée par le général Bonaparte et ses successeurs de 1798 à 1801, afin de s'emparer de l'Égypte et de l'Orient, et ainsi bloquer la route des Indes à la Grande-Bretagne dans le cadre de la lutte contre cette dernière. Elle était en effet l'une des puissances à maintenir les hostilités contre la France révolutionnaire.

Elle se double d'une expédition scientifique, de nombreux historiens, botanistes, dessinateurs accompagnant l'armée afin de redécouvrir les richesses de l'Égypte. Elle est donc parfois aussi appelée « expédition d’Égypte », lorsque son côté scientifique, moins martial, est considéré.

Le 19 mai 1798 (30 floréal an VI), aussitôt après l'arrivée du trésor monétaire pillé à Berne2, le corps expéditionnaire français quitte Toulon, mais des navires les accompagnent de Marseille, Gênes, Ajaccio, Civitavecchia. Au total plus de 400 navires prennent part à cette flotte, ainsi que 40 000 hommes et 10 000 marins. La flotte s'empare tout d'abord de Malte le 11 juin, puis débarque à Alexandrie le 1er juillet.

Une des plus célèbres batailles de cette campagne est la bataille des Pyramides qui a lieu le 21 juillet 1798.

Les troupes révolutionnaires sont finalement vaincues et doivent abandonner l'Égypte mi-1801.

Contexte

C'est le Directoire qui décide de l’expédition d’Égypte. Les directeurs, qui assument le pouvoir exécutif en France, ont recours à l'armée pour maintenir l’ordre face aux menaces jacobines et royalistes. Ils font appel au général Bonaparte, déjà auréolé de succès, notamment grâce à la campagne d'Italie.

Le but de l'expédition est longtemps resté secret : certains pensent qu’il faut éloigner un Bonaparte trop encombrant et trop ambitieux ; mais il s’agit surtout de gêner la puissance commerciale britannique, pour laquelle l’Égypte est une pièce importante sur la route des Indes orientales. Comme la France n’est pas prête à attaquer la Grande-Bretagne de front, le Directoire décide l’intervention indirecte afin de créer un « double port » (préfiguration du canal de Suez).

L'historien Emmanuel de Waresquiel avance que l'une des raisons de la campagne d'Égypte a pu se trouver dans les tractations secrètes de Talleyrand avec l'Angleterre pour créer une manœuvre de diversion ce qui expliquerait que la flotte française ait pu arriver sans encombre à Alexandrie.

L’Égypte est alors une province de l’Empire ottoman repliée sur elle-même et soumise aux dissensions des mamelouks. Elle échappe au contrôle étroit du sultan. En France, la mode égyptienne bat son plein : Bonaparte rêve de marcher sur les traces d’Alexandre le Grand. Les intellectuels pensent que l’Égypte est le berceau de la civilisation occidentale et que la France se devait d'apporter les idées des Lumières au peuple égyptien. Enfin, les négociants français installés sur le Nil se plaignent des tracasseries causées par les mamelouks.

Avant le départ de Toulon

Le bruit court tout à coup que 40 000 hommes de troupes de terre et 10 000 marins sont réunis dans les ports de la Méditerranée ; qu’un armement immense se prépare à Toulon organisé par le commandant des armes Vence et l'ordonnateur Najac : treize vaisseaux de ligne, quatorze frégates, quatre cents bâtiments sont équipés pour le transport de cette nombreuse armée, dont la destination est toujours un mystère (seuls Bonaparte, ses généraux Berthier et Caffarelli ainsi que le mathématicien Gaspard Monge la connaissent) afin d'éviter de croiser la flotte anglaise de l'amiral Nelson.

Le général Bonaparte organise son État-Major et choisit ses aides de camp. Comme en Italie, il choisit 8 officiers pour remplir cette fonction. Ce seront : Duroc, Beauharnais, Jullien, le noble polonais Sulkowski, Croizier, Lavalette, Guibert et Merlin5. Bonaparte a notamment sous ses ordres Thomas Alexandre Dumas, Kléber, Desaix, Berthier, Caffarelli, Lannes, Damas, Murat, Andréossy, Belliard, Menou, Joseph-Louis-Victor Jullien, Reynier et Zajączek

La grande flotte de Toulon avait reçu les escadres de Gênes, de Civitavecchia, de Bastia ; elle est commandée par l’amiral Brueys et les contre-amiraux Villeneuve, Duchayla, Decrès et Ganteaume.

La flotte est sur le point d’appareiller et de partir lorsqu’un incident mineur menace de tout suspendre : en arborant le tout nouveau drapeau tricolore sur l'ambassade de France, Bernadotte, ambassadeur de la République française à Vienne, a provoqué une émeute et est contraint de quitter la capitale autrichienne. Les avantages reconnus par le traité de Campo-Formio, et notamment la paix avec l'Autriche, risquent donc d'être remis en question.

Le Directoire pense alors à annuler l'opération pour que Bonaparte puisse le cas échéant faire face à l'Autriche. Cependant, après quelques explications, les affaires s’arrangent et la paix est maintenue. Bonaparte reçoit ordre de se rendre à Toulon le plus tôt possible.

Bonaparte arrive à Toulon le 9 mai 1798. Il loge à l'hôtel de la Marine. Dix jours après, au moment de s’embarquer, s’adressant particulièrement à ses soldats de l’armée d’Italie, il leur dit :

« Soldats ! vous êtes une des ailes de l’armée d'Angleterre. Vous avez fait la guerre des montagnes, des plaines et des sièges ; il vous reste à faire la guerre maritime. Les légions romaines, que vous avez quelquefois imitées, mais pas encore égalées, combattaient Carthage tour à tour sur cette même mer et aux plaines de Zama. La victoire ne les abandonna jamais, parce que constamment elles furent braves, patientes à supporter les fatigues, disciplinées et unies entre elles… Soldats, matelots, vous avez été jusqu’à ce jour négligés ; aujourd’hui, la plus grande sollicitude de la République est pour vous… Le génie de la liberté, qui a rendu, dès sa naissance, la République, arbitre de l’Europe, veut qu’elle le soit des mers et des nations les plus lointaines. »

Le jour de son arrivée, il leur avait dit : « Je promets à chaque soldat qu’au retour de cette expédition, il aura à sa disposition de quoi acheter six arpents de terre ».

Prise de Malte

Vingt jours après l'appareillage le corps expéditionnaire se trouve devant Malte. Bonaparte, devant le refus du grand maître de l'ordre de Malte, Ferdinand von Hompesch zu Bolheim, d'accueillir l'armée française pour une période limitée avant son départ, décide de prendre l'île de force, et, grâce au peu d’attachement que la population avait conservé pour les chevaliers, il suffit de quelques coups de canon pour faire tomber la redoutable forteresse de La Valette au pouvoir des Français.

Bonaparte s’empare de Malte surtout à cause de son importante position dans la Méditerranée, permettant de repousser les Anglais qui naviguent dans cette région et qui ont des vues sur le fort de La Valette.

Avant de quitter l’île, le général en chef fait mettre en liberté les captifs barbaresques et italiens emprisonnés dans les bagnes.

Débarquement à Alexandrie

Treize jours après le départ de Malte, la flotte est en vue d’Alexandrie. Avant le débarquement, qui se fait immédiatement, le général adresse cette proclamation à son armée :

« Les peuples avec lesquels nous allons vivre sont mahométans ; leur premier article de foi est celui-ci : « Il n’y a d’autre Dieu que Dieu, et Mahomet est son prophète ». Ne les contredites pas ; agissez avec eux comme vous avez agi avec les Juifs, avec les Italiens ; ayez des égards pour leurs muphtis et pour leurs imans, comme vous en avez eu pour les rabbins et les évêques. Ayez pour les cérémonies que prescrit l’Alcoran, pour les mosquées, la même tolérance que vous avez eue pour les couvents, pour les synagogues, pour la religion de Moïse et celle de Jésus-Christ. Les légions romaines protégeaient toutes les religions. Vous trouverez ici des usages différents de ceux de l’Europe, il faut vous y accoutumer. Les peuples chez lesquels nous allons, traitent les femmes différemment que nous ; mais dans tous les pays celui qui viole est un monstre. Le pillage n’enrichit qu’un petit nombre d’hommes ; il nous déshonore, il détruit nos ressources ; il nous rend ennemis des peuples qu’il est de notre intérêt d’avoir pour amis. La première ville que nous allons rencontrer a été bâtie par Alexandre. Nous trouverons à chaque pas de grands souvenirs dignes d’exciter l’émulation des Français. »

Menou, qui partira le dernier de l’Égypte, y prend terre le premier. Bonaparte et Kléber débarquent ensemble et le rejoignent dans la nuit à l'anse du Marabout à 13 km d'Alexandrie. Le général en chef, instruit qu’Alexandrie a l’intention de lui opposer de la résistance, se hâte de débarquer, et à deux heures du matin, il se met en marche sur trois colonnes, arrive à l’improviste sous les murs de la place, ordonne l’assaut ; les forces égyptiennes cèdent et prennent la fuite. Les soldats français, malgré l’ordre de leur chef, se précipitent dans la ville, qui n’a pas le temps de capituler et se rend à discrétion.

Une fois maître de cette capitale, et avant de pénétrer plus avant sur le sol égyptien, Napoléon adresse le 1er juillet une proclamation aux habitants musulmans d’Alexandrie.

« Depuis trop longtemps les beys qui gouvernent l’Égypte insultent la nation française et couvrent ses négociants d’avanies. L’heure de leur châtiment est arrivée. Depuis trop longtemps ce ramassis d’esclaves, achetés dans le Caucase et la Géorgie, tyrannise la plus belle partie du monde ; mais Dieu, de qui dépend tout, a ordonné que leur empire finisse. Peuple de l’Égypte, on vous dira que je viens pour détruire votre religion, ne le croyez pas ; répondez que je viens vous restituer vos droits, punir les usurpateurs, et que je respecte Dieu, son prophète et le Coran plus que les Mameloucks. Dites-leur que tous les hommes sont égaux devant Dieu ; la sagesse, les talents, les vertus mettent seuls de la différence entre eux… Y a-t-il une plus belle terre ? elle appartient aux Mameloucks. Si l’Égypte est leur ferme, qu’ils montrent le bail que Dieu leur en a fait… Cadis, cheiks, imans, tchorbadjis, dites au peuple que nous sommes aussi de vrais musulmans. N’est-ce pas nous qui avons détruit les chevaliers de Malte ? N’est-ce pas nous qui avons détruit le pape qui disait qu’il fallait faire la guerre aux musulmans ? N’est-ce pas nous qui avons été dans tous les temps les amis du Grand-Seigneur et les ennemis de ses ennemis ?… Trois fois heureux ceux qui seront avec nous ! Ils prospèreront dans leur fortune et dans leur rang. Heureux ceux qui seront neutres ! Ils auront le temps de nous connaître, et ils se rangeront avec nous. Mais malheur, trois fois malheur à ceux qui s’armeront pour les Mameloucks et qui combattent contre nous ! Il n’y aura pas d’espérance pour eux, ils périront. »

Lorsque le débarquement est achevé, l’amiral Brueys reçoit ordre de conduire la flotte dans le mouillage d’Aboukir. Quant à l’escadre, elle doit, ou entrer dans le vieux port d’Alexandrie, si cela se peut, ou bien se rendre à Corfou. L’arrivée certaine des Britanniques, qui déjà se sont montrés dans les parages d’Alexandrie vingt-quatre heures avant l’arrivée des Français, rend ces précautions nécessaires. Le commandement français cherche à éviter tout combat naval : une défaite pouvant avoir des conséquences désastreuses pour la campagne ; les Français souhaitent marcher au plus vite sur Le Caire, afin d’effrayer le commandement égyptien et de le surprendre avant qu'il n'ait achevé de préparer sa défense.

Vers la bataille des Pyramides

Desaix se met en route avec sa division et deux pièces de campagne ; il arrive, à travers le désert, le 18 messidor (6 juillet), à Damanhur, à un peu moins de 70 km d’Alexandrie. Bonaparte, en quittant cette dernière ville, en laisse le commandement à Kléber qui est blessé. Le général Dugua marche sur Rosette ; il a ordre de s’en emparer et de protéger l’entrée dans le port de la flottille française, qui doit suivre la route du Caire, sur la rive gauche du Nil, et rejoindre l’armée par Rahmanié. Le 20 (8 juillet), Bonaparte arrive à Damanhur, où il trouve l’armée réunie. Le 22 (10 juillet), les Français se mettent en marche pour Rahmanié : les soldats s'y reposent en attendant la flottille, qui porte les provisions : elle arrive le 24 (12 juillet). L’armée se remet en marche pendant la nuit ; la flottille suit son mouvement.

La violence des vents entraîne tout à coup les bateaux français au-delà de la gauche de l’armée et les pousse contre la flottille égyptienne. Celle-ci est soutenue par le feu de 4 000 mamelouks, renforcés de paysans et d’Arabes, et cependant, quoiqu’inférieurs en nombre, les Français lui font perdre ses chaloupes canonnières. Attiré par le bruit du canon, Bonaparte accourt au pas de charge. Le village de Chebreiss est attaqué et emporté après deux heures d’un combat acharné, c'est la bataille de Chebreiss. Les forces égyptiennes fuient en désordre vers Le Caire, laissant 600 morts sur le champ de bataille.

Après un jour de repos à Chebreiss, le corps expéditionnaire se remet à leur poursuite. Le 2 thermidor (20 juillet), il arrive à une demi-lieue du village d’Embabé. La chaleur est intense : l’armée est accablée de fatigue. Cependant les mamelouks, que l’on voit se déployer en avant du village, ne lui laissent pas de répit. Bonaparte range ses troupes en bataille, et leur montrant les fameuses pyramides que l’on aperçoit en arrière de la gauche de l’ennemi, se serait écrié « Soldats, songez que du haut de ces monuments, quarante siècles vous contemplent ». Et en même temps, il ordonne l’attaque. C'est le début de la bataille des Pyramides, victorieuse pour les troupes françaises.

Victoire des Pyramides, désastre naval d’Aboukir

La brigade Dupuy, qui continue à suivre les Mamelouks en déroute, entre pendant la nuit dans Le Caire que les beys Mourad et Ibrahim viennent de quitter.

Le 4 thermidor (22 juillet), les notables de la capitale se rendent à Gizeh, auprès de Bonaparte, et lui offrent de lui remettre la ville. Trois jours après, il y transporte son quartier général. Desaix reçoit l’ordre de suivre Mourad, qui a pris le chemin de la Haute-Égypte. Un corps d’observation est placé à El-Kanka pour surveiller les mouvements d’Ibrahim, qui se dirige vers la Syrie. Bonaparte en personne se met à sa poursuite, le bat à Salahie et le chasse complètement de l’Égypte, après quoi il revient au Caire.

Le 30 juillet, apprenant que la flotte française est restée dans la baie d'Aboukir, Bonaparte envoie son aide de camp Jullien, escorté par une quinzaine d’hommes de la 75e demi-brigade, pour ordonner à l’amiral Brueys « de mouiller immédiatement dans le Port-Vieux ou de se réfugier à Corfou ». Mais, il est massacré avec son escorte par les habitants du village d’Alqam le 2 août. Même s’il avait pu parvenir à Aboukir, il serait arrivé trop tard, la bataille s’étant déroulée la veille. En effet, le 1er août, l’escadre de Nelson, après avoir recherché la flotte française pendant de longues semaines, découvre celle-ci dans la rade d’Aboukir. En quelques heures, onze des treize vaisseaux de ligne français sont pris ou détruits ainsi que deux frégates. Les débris de la flotte de l’amiral Brueys, deux vaisseaux et deux frégates, s'enfuient. La Royal Navy prend ainsi le contrôle de la Méditerranée orientale et empêche l’arrivée de tout renfort substantiel.

Administration de l’Égypte par Bonaparte

Cependant, Bonaparte parvient à asseoir son pouvoir sur la population en faisant la preuve de son adresse politique. Il se comporte en Égypte comme s’il en était le souverain absolu.

Néanmoins, les populations, nullement convaincues de la sincérité de toutes ces tentatives de conciliation, se révoltent sans cesse à cause de la prise d’impôts, devenue nécessaire pour subvenir aux besoins de l’armée. Les attaques imprévues, le poignard, tous les moyens sont licites pour exterminer ces « infidèles » venus de l’Occident. Les exécutions militaires ne font qu’exaspérer ces fureurs, elles sont loin de les éteindre. Les Français, enfin, ne sont véritablement les maîtres que du terrain qu’ils ont sous leurs pieds.

Le 22 septembre 1798 amène l’anniversaire de la fondation de la Première République française. Bonaparte fait célébrer cette fête avec toute la magnificence possible. Par ses ordres, un cirque immense est construit dans la plus grande place du Caire ; 105 colonnes, sur chacune desquelles flotte un drapeau portant le nom d’un département, décorent cette construction, dont un obélisque colossal, chargé d’inscriptions, occupe le centre. Sur sept autels antiques se lisent les noms des soldats morts au champ d’honneur. On entre dans l’enceinte en passant sous un arc de triomphe, sur lequel est représentée la bataille des Pyramides. Il y a là un peu de maladresse : si cette peinture flatte l’orgueil des Français, elle fait éprouver des sentiments pénibles aux Égyptiens vaincus, et dont on s’efforce, mais en vain, de faire des alliés fidèles.

Le jour de cette fête, le général en chef adresse une allocution aux soldats, dans laquelle, après avoir fait l’énumération de leurs exploits depuis le siège de Toulon, il leur dit :

« Depuis l’Anglais, célèbre dans les arts et le commerce, jusqu’au hideux et féroce Bédouin, vous fixez les regards du monde. Soldats, votre destinée est belle… Dans ce jour, quarante millions de citoyens célèbrent l’ère du gouvernement représentatif, quarante millions de citoyens pensent à vous. »

Après s’être rendu maître du pays, Bonaparte entend imprimer la marque de l'Occident sur l’Égypte. Sous ses directives, Le Caire prend bientôt l’aspect d’une ville européenne ; son administration est confiée à un Divan choisi parmi les hommes les plus recommandables de la province. Les autres villes reçoivent en même temps des institutions municipales. Un Institut, composé sur le modèle de l'Institut de France, est organisé. Le conquérant, devenu législateur le dote d’une bibliothèque, d’un cabinet de physique, d’un laboratoire de chimie, d’un jardin de botanique, d’un observatoire, d’un musée d’antiquités, d’une ménagerie et au titre d’académicien, il joint celui de Président de l’Institut d'Égypte.

Sous ses ordres, des savants dressent un tableau comparatif des poids et mesures égyptiens et français, ils composent un vocabulaire français-arabe et ils calculent un triple calendrier égyptien, copte et européen. Deux journaux, l’un de littérature et d’économie politique, sous le titre de Décade égyptienne, l’autre de politique, sous celui de Courrier égyptien, sont rédigés au Caire.

L’armée, considérablement éprouvée, autant par les maladies que par les batailles, ne doit plus s’attendre depuis l’incendie de la flotte à recevoir des renforts de France. Pour obvier à cet inconvénient, Bonaparte ordonne une levée parmi les esclaves, depuis l’âge de seize jusqu’à vingt-quatre ans ; 3 000 marins, échappés au désastre d’Aboukir, sont enrégimentés et forment la légion nautique.

Toutes les rues du Caire sont à cette époque fermées la nuit par des portes, afin de mettre les habitants à l’abri d’un coup de main de la part des bédouins du désert. Le général en chef fait enlever ces clôtures, derrière lesquelles, en cas de sédition, les Égyptiens sont en mesure de combattre avec quelque avantage contre les Français ; la révolte du Caire justifie la prévoyance de Bonaparte.

La révolte du Caire

Le 21 octobre 1798, alors que Bonaparte est au vieux Caire, la population de la capitale se soulève, se fortifie sur divers points, et principalement dans la grande mosquée. « Dès la pointe du jour quelques rassemblements se formèrent dans les rues, ils grossirent peu à peu et se portèrent en masse vers la demeure du Cadi Ibrahim Ehctem-Efendy. Vingt personnes des plus marquantes lui sont députées. Le vénérable vieillard demande le motif qui les amène. Ils se plaignent d'une mesure fiscale que vient de prendre le chef de l'armée française relativement aux propriétés : ils invitent le magistrat à les suivre chez Bonaparte afin d'obtenir l'abrogation de cette mesure ». Le chef de brigade Dupuy, commandant de la place, est tué le premier. Sulkowski, l'aide de camp préféré de Bonaparte, subit le même sort ; le général Bon prend le commandement. Excités par les cheikhs et les imams, les Égyptiens souhaitent en découdre avec les Français et égorgent ceux qui se trouvent sur leur chemin. Des rassemblements se pressent aux portes de la ville pour en défendre l’entrée au général en chef qui, repoussé à la porte du Caire, est obligé de faire un détour pour entrer par celle de Boulaq.

La situation de l’armée française est des plus critiques : les Britanniques menacent les villes maritimes ; Mourad Bey tient toujours la campagne dans la Haute-Égypte ; les généraux Menou et Dugua contiennent à peine la Basse-Égypte. Les Arabes réunis aux paysans font cause commune avec les révoltés du Caire. Dans un manifeste dit « du Grand Seigneur », répandu avec profusion dans toute l’Égypte, on lit :

« Le peuple français est une nation d’infidèles obstinés et de scélérats sans frein… Ils regardent le Coran, l’Ancien Testament et l’Évangile, comme des fables… Dans peu, des troupes aussi nombreuses que redoutables s’avanceront par terre, en même temps que des vaisseaux aussi hauts que des montagnes couvriront la surface des mers… Il vous est, s’il plaît à Dieu, réservé de présider à leur entière destruction (des Français) ; comme la poussière que les vents dispersent, ils ne restera plus aucun vestige de ces infidèles : car la promesse de Dieu est formelle, l’espoir du méchant sera trompé, et les méchants périront. Gloire au Seigneur des mondes ! »

Bonaparte prend des mesures pour mater la révolte. Il ordonne à ses troupes de repousser les Arabes dans le désert, l’artillerie est braquée tout autour de la ville rebelle. Les insurgés sont acculés et doivent se concentrer dans la grande mosquée. Par chance pour les Français, le temps devient orageux. Ce phénomène, rarissime en Égypte, est interprété par une population superstitieuse comme un mauvais présage. Les insurgés demandent à Bonaparte d'accepter leur reddition : « Il est trop tard, leur fait-il répondre ; vous avez commencé, c’est à moi de finir ». Et, tout de suite, il ordonne à ses canonniers de faire feu sur la grande mosquée. Les Français en brisent les portes et s’y introduisent de vive force : ils massacrent les Égyptiens.

Redevenu le maître absolu de la ville, le général en chef fait rechercher les auteurs et les instigateurs de la révolte. Quelques cheikhs, plusieurs Turcs ou Égyptiens, convaincus d’avoir fomenté les troubles, sont exécutés. Pour compléter le châtiment, la ville est frappée d’une forte contribution, et son Divan est remplacé par une commission militaire. Afin d’atténuer les effets produits par le firman dit du Grand Seigneur, on affiche dans toutes les villes de l’Égypte une proclamation qui se termine ainsi :

« Cessez de fonder vos espérances sur Ibrahim et sur Mourad, et mettez votre confiance en celui qui dispose à son gré des empires et qui a créé les humains »

Recherche du canal des pharaons

Se voyant de nouveau tranquille possesseur de sa conquête, Bonaparte profite de ce temps de répit pour aller visiter le port de Suez et s’assurer de ses propres yeux de la possibilité d’un canal creusé, dit-on à l'époque, dans l’Antiquité, par ordre des pharaons, mettant en communication la mer Rouge avec la mer Méditerranée. Avant de partir pour cette expédition, il rend aux habitants du Caire, comme gage de pardon, leur gouvernement national ; un nouveau Divan composé de soixante membres remplace la commission militaire.

Puis, accompagné de ses collègues de l’Institut, Berthollet, Monge, Le Père, Dutertre, Costaz, Caffarelli, et suivi d’une escorte de trois cents hommes, il prend le chemin de la mer Rouge, la caravane parvient en trois jours à Suez. Après avoir donné des ordres pour compléter les fortifications de la place, Bonaparte traverse la mer Rouge, et va reconnaître en Arabie les célèbres fontaines de Moïse le 28 décembre 1798. À son retour, surpris par la marée montante, il manque de se noyer. Arrivé à Suez, il reçoit une députation d’Arabes qui viennent solliciter l’alliance des Français. Finalement, après quelques recherches, on retrouve des traces de l’ancien canal des pharaons Sésostris III et Néchao II, et le but du voyage est atteint.

Sur ces entrefaites, le commandement français apprend que Djezzar Pacha, de Syrie, s’est emparé du fort d’El-Arich, situé sur la Méditerranée, à proximité de la frontière d’Égypte avec la Palestine, qu’il est destiné à défendre. Ne doutant plus de l’imminence d’une guerre avec le sultan ottoman, le général décide d’en prévenir les événements, et l’expédition de Syrie est engagée.

L'expédition de Syrie

De retour au Caire, il donne ordre à 12 945 soldats de se tenir prêts à marcher. Ces derniers sont organisés ainsi :

Infanterie :
2 349 hommes appartenant à la division Kléber
2 449 hommes appartenant à la division Bon
2 924 hommes appartenant à la division Lannes
2 160 hommes appartenant à la division Reynier
Cavalerie (commandée par Murat) : 800 hommes.
Artillerie (commandée par Dommartin) : 1 385 hommes.
Génie (commandé par Caffarelli du Falga) : 340 hommes.
Régiment de dromadaires (commandé par Cavalier) : 88 hommes.
Les 400 guides à cheval qui forment l'escorte ordinaire de Bonaparte sont commandés par Bessières. Le contre-amiral Perrée doit, avec trois frégates, aller croiser devant Jaffa, et apporter l’artillerie de siège : celle de campagne est de quatre-vingts bouches à feu.

Reynier, qui commande l’avant-garde, arrive en peu de jours devant El-Arich, s’empare de la place, détruit une partie de la garnison, et force le reste à se réfugier dans le château ; en même temps il met en fuite les mamelouks d’Ibrahim et se rend maître de leur camp. Sept jours après son départ du Caire, Bonaparte arrive devant El-Arich, et sur le champ il fait canonner une des tours du château. La garnison capitule deux jours après ; une partie des soldats prennent du service dans l’armée française.

Après soixante lieues d’une marche pénible dans le désert, l’armée arrive à Gaza ; elle s’y rafraîchit et s’y repose pendant deux jours. Trois jours après, elle se trouve sous les murs de Jaffa. Cette place est entourée de hautes murailles, flanquées de tours. Djezzar en a confié la défense à des troupes d’élite ; l’artillerie est servie par 1 200 canonniers turcs. Les forces françaises doivent impérativement s'en emparer car c’est un des points d'accès à la Syrie ; son port offre un abri sûr à l’escadre : de sa chute dépend en grande partie le succès de l’expédition.

Tous les ouvrages extérieurs sont au pouvoir des assiégeants ; la brèche est praticable ; lorsque Bonaparte envoie un Turc au commandant de la ville pour le sommer de se rendre, celui-ci le fait décapiter au sabre malgré la neutralité du diplomate et ordonne une sortie. Il est repoussé et dès le soir du même jour les boulets des assiégeants font s'écrouler une des tours. Malgré la résistance de ses défenseurs, Jaffa succombe. Quatre mille prisonniers sont fusillés ou décapités (par un trancheur de tête musulman engagé en Égypte) pour marquer les esprits. Cette exécution vengeresse a trouvé des apologistes :

« Car pour maintenir dans la soumission un nombre si considérable de captifs, il eût fallu en confier la garde à une escorte qui eût diminué d’autant les forces de l’armée ; que si on leur eût permis de se retirer en toute liberté, il était raisonnable de craindre qu’ils n’allassent grossir les rangs des troupes de Djezzar. »

Avant de quitter Jaffa, Bonaparte y établit un Divan, un grand hôpital, dans lequel sont reçus les soldats atteints de la peste. Des symptômes de cette épidémie se sont manifestés parmi les troupes dès le commencement du siège. Un rapport des généraux Bon et Rampon a donné de vives inquiétudes à Bonaparte sur la propagation de ce fléau. Afin de dissiper les craintes et de tranquilliser les esprits, il se rend au chevet des malades en leur disant : « Vous le voyez, cela n’est rien ». Au sortir de l’hôpital, il répond à ceux qui l’accusent d’avoir commis une grande imprudence : « C’était mon devoir, je suis le général en chef ».

De Jaffa, l’armée se dirige sur Saint-Jean-d'Acre. Chemin faisant, elle prend Kaïffa, où elle trouve des munitions et des approvisionnements de toute espèce. Les châteaux de Jaffet, de Nazareth et la ville de Tyr tombent aussi en son pouvoir ; mais Saint-Jean-d'Acre sera le point d'arrêt de cette expédition. Située sur le bord de la mer, la ville peut recevoir de ce côté des renforts ; la marine britannique appuyant celle du sultan ottoman.

Après soixante jours d’attaques réitérées et deux assauts meurtriers et sans résultat, la place tient toujours ferme. Cependant, outre les renforts qu’elle attend du côté de la mer, une grande armée se forme en Asie par ordre du sultan et s’apprête à marcher contre les Français. Djezzar, pour seconder ses mouvements, ordonne une sortie générale contre le camp de Bonaparte. Cette attaque est soutenue par l’artillerie et les équipages des vaisseaux britanniques. Bonaparte parvient cependant à refouler les colonnes de Djezzar derrière leurs murailles.

Après ce succès, il se porte au secours de Kléber qui, retranché dans les ruines, tient tête, avec ses 4 000 hommes, à 20 000 Turcs. Bonaparte tire parti des avantages que lui offrent les positions de l’ennemi au cours de la bataille du Mont-Thabor. ll envoie Murat, avec sa cavalerie, sur le Jourdain pour en défendre le passage ; Vial et Rampon marchent sur Naplouse, et lui-même se place entre les Turcs et leurs magasins. Ses dispositions lui donnent le dessus. L’armée ottomane, attaquée à l’improviste sur divers points à la fois, est mise en déroute et coupée dans sa retraite ; elle laisse 5 000 morts sur le champ de bataille et doit abandonner chameaux, tentes et provisions à l'ennemi.

De retour devant Saint-Jean-d’Acre, Bonaparte apprend que le contre-amiral Perrée a débarqué à Jaffa sept pièces de siège ; il ordonne successivement deux assauts qui sont vigoureusement repoussés. Une flotte est signalée, elle porte pavillon ottoman ; les Français décident de hâter la prise de la ville avant que ses défenseurs ne reçoivent des renforts par la mer. Une cinquième attaque générale est ordonnée ; tous les ouvrages extérieurs sont emportés. Les Turcs sont repoussés dans la ville, et leur feu commence à se ralentir, la ville semble sur le point de capituler.

Cependant, les défenseurs peuvent compter sur la présence d'un émigré, Phélippeaux, officier du génie, condisciple de Bonaparte à l’École militaire. Sous ses ordres, des canons sont placés suivant les directions les plus avantageuses ; de nouveaux retranchements s’élèvent derrière les ruines de ceux que les assiégeants ont emportés. En même temps, Sidney Smith, qui commande la flotte britannique, arrive à la tête des équipages de ses vaisseaux. Cela redonne de l'allant aux assiégés qui se pressent à sa suite. Trois assauts français consécutifs et toujours repoussés amènent Bonaparte à renoncer à prendre la ville. Il en lève le siège, et adresse cette proclamation à ses soldats :

« Après avoir, avec une poignée d’hommes, nourri la guerre pendant trois mois dans le cœur de la Syrie, pris quarante pièces de campagne, cinquante drapeaux, fait 10 000 prisonniers, rasé les fortifications de Gaza, Kaïffa, Jaffa, Acre, nous allons rentrer en Égypte. »

La situation de l’armée française est des plus critiques ; outre la menace que les troupes ottomanes font peser sur ses arrières pendant sa retraite et les fatigues et privations qui l’attendent dans le désert ; elle a à sa charge un grand nombre de pestiférés : les Français craignent qu'ils soient massacrés par les Ottomans s'ils sont laissés sur place, mais aussi que l'épidémie continue à faire des ravages dans ses rangs s'ils sont emmenés.

Il y a deux dépôts de malades : l’un dans le grand hôpital du mont Carmel, et l’autre à Jaffa. Par ordre du général en chef, tous ceux du mont Carmel sont évacués dans cette dernière ville et à Tentura. Les chevaux d’artillerie dont les pièces sont abandonnées devant Acre, tous ceux des officiers, tous ceux du général en chef sont livrés à l’ordonnateur Daure, pour leur servir de transport ; Bonaparte est à pied et donne l’exemple.

L’armée, pour dissimuler son départ aux assiégés, se met en marche pendant la nuit. Arrivé à Jaffa, Bonaparte ordonne trois évacuations de pestiférés vers trois points différents : l’une par mer, sur Damiette, la seconde et la troisième par terre sur Gaza et sur El-Arish. Selon plusieurs témoignages de ses officiers, Napoléon préconise de faire empoisonner plusieurs dizaines de ses soldats intransportables.

Dans sa retraite, l’armée pratique la politique de la terre brûlée : bestiaux, moissons, maisons, sont détruits ; la ville de Gaza, restée fidèle aux Français, est seule épargnée.

Enfin, après quatre mois d’absence, l’expédition arrive au Caire avec 1 800 blessés ; elle a perdu en Syrie six cents hommes morts de la peste et 1 200 qui ont péri dans les combats.

L’échec éprouvé lors du siège de Saint-Jean-d'Acre a eu un important retentissement en Égypte ; les émissaires turcs et britanniques font courir le bruit que l’armée expéditionnaire a été en grande partie détruite et que son chef est mort. Bonaparte parvient cependant à faire taire ces rumeurs. Par ses ordres, les troupes, en entrant en Égypte, prennent l’attitude d’une armée triomphante : les soldats portent dans leurs mains des branches de palmier, emblèmes de la victoire.

Vers la bataille terrestre d'Aboukir

L’armée trouve au Caire le repos et les approvisionnements dont elle a besoin pour récupérer ; mais son séjour dans cette ville est bref. Bonaparte, instruit que Mourad Bey, déjouant les poursuites des généraux Desaix, Belliard, Donzelot, Davout, descend de la Haute-Égypte, se met en marche pour aller l’attaquer aux pyramides ; là il apprend qu’une flotte turque de cent voiles est devant Aboukir et menace Alexandrie.

Sans perdre de temps et sans rentrer au Caire, il ordonne à ses généraux de se porter rapidement au devant de l’armée que commande le pacha de Roumélie, Saïd Mustapha, auquel se sont joints les corps de Mourad Bey et d’Ibrahim. Avant de quitter Gizeh, où il se trouve, le général en chef écrit au Divan du Caire : « Quatre-vingts bâtiments ont osé attaquer Alexandrie ; mais, repoussés par l’artillerie de cette place, ils sont allés mouiller à Aboukir où ils commencent à débarquer. Je les laisse faire, parce que mon intention est de les attaquer, de tuer tous ceux qui ne voudront pas se rendre, et de laisser la vie aux autres pour les mener en triomphe au Caire. Ce sera un beau spectacle pour la ville ».

Bonaparte se rend d’abord à Alexandrie, de là il marche sur Aboukir, dont le fort s’est rendu aux Turcs. L'armée ottomane, qui compte 18 000 combattants, est soutenue par une nombreuse artillerie ; des retranchements la défendent du côté de la terre, et du côté de la mer, elle communique librement avec la flotte. Le général en chef ordonne l’attaque ; en quelques d’heures, les retranchements sont enlevés, 10 000 Turcs se noient dans la mer, le reste étant pris ou tué. Murat fait prisonnier le général Saïd Mustapha, dont le fils, qui commandait dans le fort, et tous les officiers échappés au carnage doivent former le cortège triomphal du vainqueur. La population du Caire, voyant revenir Bonaparte avec ses illustres prisonniers l'accueille avec respect.

La bataille d’Aboukir est la dernière victoire de Bonaparte en Égypte ; une autre phase de sa carrière commence. Au regard de la faiblesse de ses forces ne lui permettant plus d'entreprendre une expédition de quelque importance au-delà des frontières de sa conquête, comme il l'a constaté lors de l'échec du siège d’Acre, il décide, afin d'éviter d'être dans la situation où il devrait capituler devant l'ennemi, ce qui nuirait à son prestige, de revenir en France.

Bonaparte a appris par ses communications avec la flotte britannique, lors de l’échange des prisonniers d’Aboukir et notamment par la Gazette de Francfort que Sidney Smith lui envoie, que depuis son absence, la situation a changé en France. L'armée du pays a subi des revers, ses propres conquêtes ont été perdues et la population ne fait plus confiance au Directoire. Il perçoit que son retour pourrait être bien accueilli. Son voyage de retour s'effectue dans le secret. Un voyage dans le delta du Nil est le prétexte qu’il met en avant pour sortir du Caire sans éveiller les soupçons ; les savants Monge, Berthollet, le peintre Denon, les généraux Berthier, Murat, Lannes, Marmont, l’accompagnent.

Le passage de témoin à Kléber

Le 23 août 1799, une proclamation apprend à l’armée que le général en chef Bonaparte vient de transmettre ses pouvoirs au général Kléber ; cette nouvelle est reçue avec quelque mécontentement, mais l’indignation cesse bientôt. Kléber a fait ses preuves et a la confiance de ses hommes. Ceux-ci sont aussi portés à croire que Bonaparte n'est parti en France que pour lever de nouveaux renforts avec lesquels il s’empresserait de retourner en Égypte pour se remettre à la tête de ses anciens compagnons d’armes.

À la nuit tombante, la frégate la Muiron vient le prendre silencieusement sur le rivage, trois autres bâtiments forment son escorte. Les quarante-et-un jours de traversée se dérouleront sans encombre, ce qui est assez miraculeux compte tenu du nombre de vaisseaux ennemis croisant en Méditerranée.

La flottille entre le 1er octobre dans le port d’Ajaccio, les vents contraires l’y retiennent jusqu’au 8 octobre avant qu’elle appareille pour la France. À la vue des côtes, les Français voient paraître dix voiles britanniques ; le contre-amiral Ganteaume veut virer de bord vers la Corse ; « Non, lui dit Bonaparte, cette manœuvre nous conduirait en Angleterre, et je veux arriver en France ». Cet acte de fermeté le sauve ; le 8 octobre 1799 (16 vendémiaire an VIII), les frégates mouillent dans la rade de Fréjus. Comme il n’y a pas de malades à bord et que la peste a cessé en Égypte, six mois avant son départ, il est permis au général Bonaparte et à sa suite de prendre terre immédiatement. À six heures du soir, il se met en route pour Paris, accompagné de Berthier, son chef d’état-major.

Assassinat de Kléber

Kléber, nouveau commandant en chef de l'armée d'Égypte, tente de négocier avec les Anglais. Les conditions imposées par l'amiral Keith sont cependant inacceptables pour le général français qui décide de reprendre la guerre et bat les troupes ottomanes à la bataille d'Héliopolis. Le 14 juin 1800 (26 prairial), Kléber est toutefois poignardé à mort par un étudiant syrien nommé Soleyman el-Halaby. Le général Menou qui lui succède avertit Bonaparte de l'assassinat de Kléber le 3 juillet 1800. Sa lettre est publiée dans Le Moniteur le 6 septembre suivant, avec la conclusion de la commission chargée de juger les responsables de l’assassinat :

« La commission, après avoir mis toute la solennité possible à l'instruction du procès, a cru devoir, dans l'application de la peine, suivre les usages de l'Égypte ; elle a condamné l'assassin à être empalé après avoir eu la main droite brûlée ; et trois des cheiks coupables, à être décollés et leurs corps brûlés. »

Fin de l'expédition

Une nouvelle offensive anglo-ottomane amène la capitulation du corps expéditionnaire français le 31 août 1801. Menou obtient du général anglais Ralph Abercromby que l'armée française soit rapatriée par les vaisseaux anglais.

L'expédition scientifique

L'armada, partie de Toulon, emporte avec elle des soldats, mais aussi 167 savants, ingénieurs et artistes, membres de la Commission des sciences et des arts : le géologue Dolomieu, Henri-Joseph Redouté, le mathématicien Gaspard Monge (un des fondateurs de l'École polytechnique), le chimiste Claude-Louis Berthollet, Dominique Vivant Denon, le mathématicien Jean-Joseph Fourier, le physicien Malus, le naturaliste Étienne Geoffroy Saint-Hilaire, le botaniste Alire Raffeneau-Delile, l'ingénieur Nicolas-Jacques Conté du Conservatoire national des arts et métiers font partie du voyage.

À l'origine, ils sont destinés à aider l'armée, notamment percer le canal de Suez, tracer des routes ou construire des moulins pour faciliter la logistique militaire.

Ils fondent l'Institut d'Égypte qui a pour mission de propager les Lumières en Égypte grâce à un travail interdisciplinaire (amélioration des pratiques agricoles, apport de techniques d'architecture…). Une revue scientifique est créée, la Décade égyptienne, ainsi qu'une académie, l'Institut d'Égypte.

Leur étude de l'ancienne Égypte (égyptologie) donna lieu à la Description de l'Égypte, publiée sous les ordres de Napoléon Bonaparte de 1809 à 1821.

Liste des scientifiques ayant participé à l'expédition

Matériaux rapportés
Au cours de l'expédition, les savants ont observé la nature égyptienne, pris des dessins et se sont intéressés aux ressources du pays. La pierre de Rosette a été découverte dans le village de Rachid en juillet 1799 par un jeune officier du génie, Pierre-François-Xavier Bouchard. La plupart de leurs découvertes, dont cette pierre, sont par la suite saisies par les Britanniques et ont fini au British Museum. Pourtant, grâce à une copie de la pierre de Rosette réalisée avant sa saisie et publiée dans la Description de l'Égypte, c'est le Français Jean-François Champollion qui parviendra le premier à déchiffrer les hiéroglyphes égyptiens.

Le général Noël Varin Bey, resté au service du vice-roi d'Égypte, devient général de l'armée égyptienne. De retour en France, il s'installe en 1857 à Rueil-Malmaison avec, dans ses bagages, une momie d'un enfant qui possède encore ses cartonnages avec, en inscription, le nom de sa jeune propriétaire : Ta-Iset (celle d'Isis).

La propagande napoléonienne

Dès son arrivée en Égypte, Bonaparte fait afficher une déclaration au peuple égyptien qui le pose en libérateur du pays opprimé par les mamelouks, tout en se réclamant d'une amitié avec le sultan ottoman. Cette position lui vaut de solides appuis en Égypte (et, bien plus tard, l’admiration de Méhémet Ali, qui réussira à instaurer cette indépendance de l'Égypte que Bonaparte n’avait fait que commencer).

La campagne d’Égypte profite largement aussi à l'image de Bonaparte en France:

  • Le Courrier de l'Égypte s’adresse au corps expéditionnaire et doit soutenir le moral des troupes. Le peintre Antoine-Jean Gros dans le tableau des Pestiférés de Jaffa représente Napoléon en guérisseur, comme les rois de l’Ancien Régime qui touchaient les écrouelles après la cérémonie du sacre. Sur cette peinture, on peut voir Napoléon touchant le corps d’un homme ayant la peste. En réalité, il a déplacé un cadavre dont le linge était souillé de pus. Laissons parler Desgenettes, le médecin en chef de l'armée : Après s'être occupé pendant plus d'une heure et demie de tous les détails d'administration, il aide à soulever et à porter le cadavre d'un soldat dont les habits étaient souillés par l'ouverture spontanée d'un énorme bubon abcédé, méprisant ainsi les risques de contagion. Gros a embelli l'épisode sur cette toile, peinte en 1804, année du couronnement de Napoléon Ier.
  • La défaite des mamelouks aux pyramides (bataille d’Embabeh) donne lieu à des récits et des dessins par dizaines ; on attribue à Napoléon la célèbre phrase : « Du haut de ces pyramides, quarante siècles vous contemplent ».
  • On passe en revanche sous silence la défaite navale d’Aboukir, ainsi que l’échec de la campagne de Syrie. On estime que le tiers des 30 000 soldats engagés en Égypte ont péri, dont la moitié de maladie et le reste dans les combats.
En rentrant d'Égypte, il s'arrête à Saint-Raphaël où il va faire construire une pyramide pour commémorer l'évènement. En Égypte, il laisse le commandement des opérations à Kléber qui est assassiné peu après, Bonaparte est auréolé d'un prestige fondé sur cette propagande, qui lui ouvre la voie du pouvoir, et dont il profite en devenant Premier consul, lors du coup d'État du 18 brumaire (novembre 1799).

Chronologie et batailles

1798
19 mai 1798 (30 floréal an VI) : départ de Toulon
11 juin 1798 (23 prairial an VI) : prise de Malte
1er juillet 1798 (13 messidor an VI) : débarquement à Alexandrie
21 juillet 1798 (3 thermidor an VI) : bataille des Pyramides
1er et 2 août 1798 (14-15 thermidor an VI) : bataille navale d'Aboukir, victoire de Nelson sur l'escadre française dans la baie d'Aboukir
10 août 1798 : combat de Salheyeh
7 octobre 1798 : bataille de Sédiman
21 octobre 1798 (30 vendémiaire) : révolte du Caire
1799
7 mars 1799 : siège de Jaffa
20 mai 1799 (1er prairial an VII) : siège de Saint-Jean-d'Acre, après huit assauts les troupes françaises se retirent
8 avril 1799 : combat de Nazareth
11 avril 1799 : bataille de Cana
16 avril 1799 (27 germinal an VII) : Bonaparte porte secours aux troupes de Kléber sur le point de succomber au pied du mont Thabor
1er août 1799 (14 thermidor an VII) : bataille terrestre d'Aboukir
23 août 1799 (6 fructidor an VII) : Bonaparte s’embarque sur la frégate Muiron et abandonne le commandement à Kléber
1800
24 janvier 1800 (4 pluviôse an VIII) : Kléber conclut avec l'amiral britannique Smith la convention d'El-Arich
février 1800 (pluviôse-ventôse an VIII) : les troupes françaises commencent à se replier, mais l'amiral britannique Keith refuse les termes de la convention
20 mars 1800 (29 ventôse an VIII) : bataille d'Héliopolis, Kléber remporte une ultime victoire contre 30 000 Turcs
14 juin 1800 (25 prairial an VIII) : Soleyman assassine Kléber dans son jardin du Caire. Le général Menou prend le commandement à sa place
3 septembre 1800 (16 fructidor an VIII) : les Britanniques reprennent Malte aux Français
1801
8 mars 1801 (17 ventôse an IX) : débarquement britannique près d'Aboukir
21 mars 1801 (30 ventôse an IX) : défaite française à la bataille de Canope, l'armée commandée par Menou se retranche à Alexandrie
31 mars 1801 (10 germinal an IX) : une armée turque arrive sur El-Arich
27 juin 1801 (8 messidor an IX) : le général Belliard capitule au Caire
31 août 1801 (13 fructidor an IX) : le général en chef Menou capitule à Alexandrie
septembre 1801 (fructidor an IX - vendémiaire an X) : les Britanniques ramènent en France les débris de l’armée d’Orient.